«il arrive que tu parles de la maison, de la cheminée frappée par la foudre, des fenêtres qui ont éclaté, de leurs cadres croches, des bardeaux tombés qui ne la protègent plus de la pluie, des poutres pourries.»
– Alexie Morin, Chien de fusil
IDÉE DE DÉPART

S’intéresser au thème de la maison via google street view. Retracer sur google street view les maisons de chacun et la vue qu’on les participants de chez eux et s’en servir pour parler de soi. Se promener de maison en maison sur le web et terminer le voyage en revenant dans sa maison propre.
La première fois que j’ai apporté des images des maisons/vues des participants, c’était avec le groupe NEURO du centre de jour Les quatre temps. Le groupe NEURO était formé de personnes qui avaient subi un ACV. Selon l’endroit touché dans le cerveau, les personnes avaient des problèmes de motricité ou de communication. La moitié des gens du groupe parlaient normalement mais avaient des problèmes de motricité et pour l’autre moitié, c’était le contraire. Il fallait donc trouver des façons de se rejoindre en mettant les forces de chacun de l’avant, en travaillant ensemble et avec peu de mots.

Je demande habituellement aux gens de regarder les photos et de me dire s’ils reconnaissent des lieux. Peu importe avec qui je fais l’exercice, les gens s’animent lorsqu’ils reconnaissent leur maison et deviennent rapidement volubiles. Cette activité est un bon brise-glace pour un groupe nouvellement formé.
Premier ancrage dans un quartier, notre maison est un peu notre propre représentation symbolique. Elle est complexe et multicouche comme notre identité. Les images sur le tableau pinterest qui se trouve ici pourrait vous inspirer.
Pré[texte] d’écriture 1 : À partir des trois mots associés à notre maison sur What3words (un site qui utilise un système de localisation des lieux, qui fonctionne par grille de mots – chaque espace de 3m x 3m se voit attribuer 3 mots uniques) rédigé un court texte ou poème. Par exemple, les 3 mots associés à ma maison sont : /herbeux.fruitier.rumeur. Amusez-vous en explorant la carte intégrée sur le site.
Pré[texte] d’écriture 2 : Explorer différentes facettes de notre identité (familiale, religieuse, personnelle et professionnelle, culturelle, sexuelle, générationnelle, etc.) dans le but de bricoler un auto-portrait qui marrie les mots et les arts visuels et qui représente notre personnalité multicouches. Cet exercice peut prendre la forme, par exemple, d’un portrait de famille, d’une description/illustration de mes super pouvoirs ou d’un auto-portrait déconstruit à la manière de David Hockney.
Pré[texte] d’écriture 3 : Explorer la complexité d’un lieu en revisitant le lieu à différentes époques. Les lieux ont plusieurs couches et street view nous permet de les visualiser en mettant côte-à-côte des images prises à différents moments par différentes personnes. Ce melting pot visuel est plus près de notre façon de concevoir et de nous rappeler les lieux que nous connaissons, puisque nos mémoires de ces lieux se chevauchent et s’entremêlent.

Pré[texte] d’écriture 4 : Explorer le thème du chantier et de la transformation des lieux dans le temps. Un chantier est un espace en transformation. En ce sens, un processus d’écriture est un chantier de création, où les mots servent de matière première. Les mots deviennent le bois, le granit et les végétaux manipulés et organisés dans l’espace papier. Le présent pré[texte] veut s’inspirer du chantier (espace en transformation et vision envisagée) comme amorce à l’écriture.

Pré[texte] d’écriture 5 : Visiter le site Toponym’elles (parce qu’éventuellement il pourrait y avoir une augmentation de la représentativité des femmes dans les inscriptions des noms de rues) et imaginer un texte à partir de toponymes qui nous interpellent. Parce que les rues ont des histoires et qu’il existe des quartiers au noms de rues d’arbres, de fleurs, de poètes…
Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? – Rainer Maria Rilke
INSPIRATIONS
« Depuis que j’ai quitté le Liban en 1976 pour m’installer en France, que de fois m’a-t-on demandé, avec les meilleures intentions du monde, si je me sentais “plutôt français” ou “plutôt libanais”. Je réponds invariablement : “L’un et l’autre !” Non par quelque souci d’équilibre ou d’équité, mais parce qu’en répondant différemment, je mentirais. Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c’est que je suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. C’est précisément cela qui définit mon identité. Serais-je plus authentique si je m’amputais d’une partie de moi-même ? »
– Amin Maalouf
Dans le roman Va savoir de Réjean Ducharme, le personnage principal retape sa maison en attendant le retour de sa bien-aimée. Vincent Gélinas-Lemaire a fait une analyse intéressante de la poétique de l’espace dans le roman en question selon trois modes de représentations : espaces technique, localisé et allégorique.
« Lorsque Rémi entreprend la remise à neuf d’une ruine délabrée, c’est pour pouvoir y concentrer les souvenirs de Mamie, enfuie au bout du monde, ainsi que pour anticiper les formes de leur vie commune ressuscitée. Bâtisseur, plutôt qu’acheteur, le narrateur-protagoniste juxtapose, à la fonction émotive de la maison, sa nature d’objet concret et physique, dévoilant chaque étape de sa construction en détails et au moyen d’un vocabulaire technique spécialisé. Parmi ces épisodes descriptifs, c’est l’édification de nouvelles fondations, préoccupation cartésienne s’il en est, qui se révèle la plus minutieusement traitée. En effet, cette étape se déroule par intervalles sur plus de cinquante pages. Rémi décide d’abord de « dépouiller le toit de son vieux bardeau d’asphalte, histoire d’alléger » (p. 21) la charpente avant de la soulever. Il indique ensuite : « [j’ai] fait un croquis de mon problème de fondations » à Vonvon, le frère de Mary (p. 25), j’ai « pelleté la boue, j’ai creusé dans la glaise en dessous, j’ai atteint la terre ferme enfin, où loger mon bloc et dresser le vérin. Ça force » (p. 32). Il est ensuite surpris que la maison reste suspendue toute la nuit (p. 38) alors qu’elle s’agite sur ses « béquilles » (p. 40), puis Rémi prépare le coffrage du ciment (p. 49), réserve une bétonnière (p. 50), apprend au passage devoir « commencer par les coins, comment lancer le chevauchement des blocs et se servir de la corde à niveau pour tenir l’aplomb, en filant les rangs » (p. 57) pour le travail de maçonnerie, jusqu’à pouvoir conclure par un « Me voici assis. Assis solide » (p. 73). » – Vincent Gélinas-Lemaire
Bibliographie et autres ressources:
-Marjolaine Beauchamp, M.I.L.F, Éditions Somme Toute, 2017
-Gina Cortopassi, Cartographier le réel: Google Street View et l’art actuel, ALN/NT2, [en ligne]
-Marie-Claude De Souza, Topoésie, [en ligne]
-Mariane Dubuc, Devant ma maison, La courte échelle, 2013
-Réjean Ducharme, Va savoir, Gallimard, 1996
-Vincent Gélinas-Lemaire, Va savoir de Réjean Ducharme une poétique de l’espace, Interférences littéraires, [en ligne]
-Aude Jouane, En partant de vieilles cartes postales, ce photographe livre des avant-après saisissants de sites abandonnés, Cheese!, [en ligne]
-Dany Laferrière, Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, Mémoire d’encrier, 2015
-Amin Maalouf, Nos identités meurtrières, Éditions Grasset, 1998
-Alexie Morin. Chien de fusil, Le Quartanier, 2013
-Rainer Maria Rilke. Lettres à un jeune poète, BeQ, [en ligne]
– Aventuriers des villes, Banc public, [en ligne]
QUESTIONS
- Est-ce que mes identités sont figées? Comment je change, comment les différentes facettes de ma personnalité prennent plus ou moins d’importance selon le contexte et dans le temps?
- Qu’est-ce qui m’attend dans le futur? Comment je continue de me construire et vers où mes différentes identités vont-elles me conduire? À quoi je rêve?
- Qu’est-ce que le concept de culture et le concept de communication interculturelle? Où commence et où s’arrête ma culture? Quels sont mes biais et les stéréotypes associés à ma culture?
- Comment je m’implique ou je peux m’impliquer dans ma communauté?
- Quelle place l’école et le travail prennent dans ma vie? Quelles sont mes motivations et quel est mon style d’apprentissage (auditif, visuel, kinesthésique)?
- Quelle est mon histoire? Mon parcours? Ma ligne de vie?
- Au delà de mes « étiquettes » affirmées et assignées, quelles sont mes valeurs et mes croyances profondes et comment ces dernières teintent ma perception de la réalité?
- Quel est le portrait des religions dans le monde? Quelle est la place de la religion dans ma vie?
EXEMPLE DE PROJET
Il y a plusieurs artistes qui utilisent les images de street view pour créer. Les deux articles suivants ici et ici retracent le travail de certains d’entre-eux.
« Wolf, tout comme ses homologues, interroge la raison d’être de cette banque de données et les prétentions de l’entreprise mondiale à représenter la «réalité». Loin d’exclure ce matériel visuel, les artistes de la mouvance Google reconnaissent la valeur de ces représentations «documentaires» et explorent le potentiel artistique de ces images dotées d’une esthétique amateur. »
– Gina Cortopassi, Cartographier le réel: Google Street View et l’art actuel