Au moment où je commence à écrire ces lignes, je suis assise sur une petite chaise dans le corridor de l’école de ma fille… toujours dans une école, comme maman, comme étudiante, comme animatrice communautaire… éventuellement comme enseignante. Toujours eu un rapport ambivalent avec l’école : je trouve qu’il s’y vit beaucoup de violence, et pourtant j’y suis toujours restée, mon grand paradoxe. Il y a habituellement à l’école un système qui fonctionne de manière hiérarchique sous l’autorité sacro-sainte des professeurs, une compétition favorisée, un manque de représentation de la diversité (dans les corpus, dans les employés, dans les apprenants) et un modèle où la conformité est habituellement encouragée plutôt que les vibrations individuelles. Et pourtant, depuis petite on m’a dit que je serais enseignante. Toute ma vie en fait, parce que mes deux parents étaient enseignants. La voie était pour ainsi dire toute tracée. Moi aussi, j’en serais, parce qu’on m’avait transmis le gène de l’enseignement. J’ai résisté longtemps, pour être autre chose, parce je n’avais pas envie de faire de la discipline, pas envie d’être devant des élèves-étudiants qui sont captifs, qui sont obligés d’être là, qui n’y sont pas vraiment sur une base volontaire. J’ai voulu écrire et j’ai même pensé pouvoir en faire un métier. J’oubliais que je n’ai pas assez confiance ni en moi ni en les autres pour affronter cet autre milieu compétitif qu’est le monde littéraire. J’oubliais aussi que je préfère toujours les chemins moins bien balisés : les ruelles aux portes laissées entrouvertes, les explorations hors des sentiers battus, les migrations de bord de fleuve, les sauve-qui-peut de continent inconnu. J’oubliais que je ne serais jamais sous le spot-light, que je quitterais toujours la scène avant que les spectateurs arrivent, que je travaillerais dans mille métiers à développer des projets et à les quitter une fois qu’ils seraient mis sur pieds. J’oubliais que mon écriture allait être presqu’invisible, comme moi, et qu’elle s’inscrirait sur écran plutôt que sur papier. J’ai compté des pilules, j’ai voyagé, j’ai quitté l’homme de ma vie pour avoir un enfant, j’ai appris à conduire une voiture malgré ma peur, j’ai façonné des baguettes de pain, je me suis confrontée à l’altérité, j’ai mangé du homard accotée sur le pare-choc d’une voiture avec un poète vagabond, j’ai accroché de la poésie sur des clôtures, j’ai reçu les félicitions de mon médecin lors de mes poussées d’accouchement, je suis une maman monoparentale, je suis devenue une entreprise individuelle aux lunettes roses et un jour j’ai rencontré Monsieur Émile. Monsieur Émile avait accepté que je vienne dans sa classe de francisation donner des ateliers d’écriture, de correspondances pour être plus précise. La première fois qu’il m’a vue, il m’a demandé pourquoi je n’étais pas professeur. Je lui ai répondu que je n’étais pas professeur parce que mes parents l’étaient. Il semblait trouver ça drôle et il m’a dit : « oui mais, pourquoi tenter d’éviter toujours l’inévitable. » Et moi je me disais que j’étais trop âgée pour retourner sur les bancs d’école et pour « recommencer » encore une fois un autre programme d’études. C’est alors qu’il m’a raconté qu’il venait d’Afrique de l’Ouest et qu’il avait recommencé toute sa scolarité à son arrivée ici. Je n’allais pas le faire pleurer lui. Je lui ai demandé quel âge il avait quand il est arrivé, il avait début quarantaine, tout comme moi. La coïncidence était trop belle. Et c’est vrai, pourquoi, pourquoi en fait je n’enseignais pas, pourquoi?
« Puisque la grande majorité des étudiant.es apprennent par des pratiques éducatives conservatrices et traditionnelles, et ne se soucient que de la présence de leur enseignant.e, une pédagogie radicale doit insister sur la reconnaissance de la présence de toustes. » (hooks, p. 13)
En général, l’enseignement, malgré ce qu’en disent les différents courants théoriques actuels, demeure traditionnel. Dans le cours d’andragogie suivi l’automne dernier, j’ai fait la découverte de ces différents courants : behaviorisme, cognitivisme, humanisme, constructivisme et socio-constructivisme, et j’avoue m’être reconnue un peu plus dans l’humanisme et dans le socio-constructivisme, qui laissent un peu plus de place à l’humain. J’ai déjà fait une réflexion sur mes allégeances face aux différents courants théoriques dans un cours précédent. Malgré cela, j’ai toujours de la difficulté avec les catégories et avec les polarités. Je comprends bien notre manie de tout catégoriser pour faire du sens, mais les boites que nous élaborons sont toujours réductrices, elles manquent de nuances, permettent rarement de refléter la complexité des concepts. Les catégories sont différentes perspectives ou lunettes (filtres) pour aborder une réalité, elles sont mises en opposition les unes par rapport aux autres alors qu’elles devraient plutôt être abordées en complémentarité. Nous pouvons faire le choix de voir les différences ou de voir plutôt les ressemblances, les points de jonction. Oui, bien sûr, le behaviorisme et l’humanisme sont éloignés sur le plan des fondements philosophiques, et pourtant, l’organisme pour lequel je travaille, qui est humaniste dans ses fondements, utilise avec les jeunes des systèmes d’émulation. Outil behavioriste par excellence, le système d’émulation ou le tableau de comportement, dont l’utilisation ne fait pas l’unanimité, est utilisé ici non pas comme un moyen pour conditionner le comportement, mais comme un outil de dialogue avec le jeune, qui est amené à évaluer lui-même sa propre participation à chaque club. J’ai toujours détesté le principe de la carotte, mais je dois avouer que le système d’émulation, dans son adaptation décrite ci-dessus, fonctionne bien avec certains jeunes. Je ne deviendrai jamais une fan des systèmes d’émulation ou des tableaux de comportements, mais mon passage à La Relance Jeunes et Familles aura eu le mérite de me permettre de nuancer ma vision des choses et d’observer que ce ne sont pas les mêmes moyens qui fonctionnent pour chacun. On ne peut pas avoir une recette et s’attendre à l’appliquer en bloc de la même façon pour tout le monde parce que tout le monde n’est pas pareil. Sans considérer les différents courants théoriques comme un buffet où tout s’équivaut et dans lequel on peut piger n’importe comment, le fait d’avoir un ancrage théorique n’empêche pas de s’intéresser aux autres approches et les méthodes qui découlent des courants théoriques sont parfois même associées à plus d’un courant en même temps. Je pense, par exemple, à la méthode communicative utilisée en enseignement de langue seconde, qui peut, selon la façon dont elle appliquée, s’apparenter au socio-constructivisme, à l’humanisme et au cognitivisme; puisqu’elle s’articule autour des interactions entre pairs, qu’elle place l’apprenant au centre de ses apprentissages et qu’elle fonctionne par résolution de problèmes en fonction de connaissances antérieures.
Cette session-ci je me suis moi-même surprise à différentes réflexions : 1) je me suis rendu compte que, bien que je veuille toujours m’éloigner de l’enseignement traditionnel, ce cours, Formation et développement personnel de l’adulte à tous les âges de la vie, qui s’appuie sur la pédagogie radicale (ou pédagogie critique), m’a bouleversée. Je suis avide d’explorer autre chose, du autrement, mais force est d’admettre que lorsque j’y suis confrontée, ça ne se fait pas que dans l’allégresse. L’école a un cadre formel face auquel je suis très critique, mais que je connais bien. Sortir de mes repères universitaires, comme sortir de toutes balises familières, ça tire toujours un peu dans le cou. J’apprécie que les cours offerts dans le cadre de la maitrise explorent différentes formules. Dans le cours d’andragogie d’Hélène Leboeuf, par exemple, la formule était différente par rapport à ce qui s’offre habituellement à l’université. J’étais quand même dans un cadre familier, qui s’appuyait sur la participation active des apprenants, comme c’est le cas depuis longtemps dans le communautaire. En revanche, lorsqu’il est question de pédagogie radicale dialogique, je ne suis pas dans ma zone de confort (ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi). Je comprends que le malaise et le choc des valeurs fasse partie de la pratique en question. En même temps, je me questionne à savoir comment bien préparer les apprenants à cette perte de repères, à l’inconfort d’une formule qui s’appuie sur le choc des idées et sur le partage d’émotions en contexte scolaire. Comment l’espace scolaire peut accueillir une démarche radicale (associée aussi au communautaire et à l’éducation populaire) sans que les apprenants se sentent un peu comme des cobayes. Il me semblait y avoir un chevauchement de codes ici, entre repères traditionnels (aménagement de l’espace, corpus théorique, système d’évaluation standard) et démarche radicale (parole décloisonnée, partage, expériences de la formatrice est des participantes sur un pied d’égalité). Malgré ce que je viens de dire, bien sûr, on ne peut qu’être pour les pédagogies radicales, qui dans le sillon des enseignements de Freire, offrent une alternative au « système bancaire » d’éducation et qui poursuivent un objectif de justice sociale. On ne peut qu’être d’accord avec les pédagogies radicales, mais dans un contexte scolaire formel il y a un décalage et des dissonances entre le contexte et les contenus, qui ne sont pas aussi présents, à mon avis, lorsque les pédagogies radicales se déploient en milieu communautaire ou associatif. Il reste encore bien des choses à déconstruire dans le système d’éducation pour que les espaces qui accueillent les cours soient en phase avec la pensée radicale. C’est une façon bien noble de lutter de l’intérieur. Je cherche moi-même à faire le pont entre ma pratique en milieu communautaire et l’école. Je pense d’ailleurs que l’école aurait intérêt à multiplier tous les ponts et à s’inspirer de ce qui se fait dans le communautaire. Je continue ma réflexion sur le sujet en lisant, toujours, bell hooks. Je me rends compte qu’au fil de mes lectures moi-même je me radicalise et que certaines postures idéologiques ou formules discursives m’agressent de plus en plus. J’ai beaucoup de difficulté à ne pas réagir lorsque des relations de pouvoir sont en jeu ou que des généralités sont utilisées pour renforcer des préjugés ou des stéréotypes. Je crains que je devienne plus intolérante à mesure que je suis plus consciente des inégalités et des systèmes d’oppression en place. J’ai du mal à demeurer bienveillante à mesure que je suis plus en colère et pourtant je sais que ce dont le monde a vraiment besoin est plus de bienveillance et non plus de colère.
« Nous sommes toustes, à l’université et dans la culture en général, appellé.és à renouveler nos intelligences si nous voulons transformer les institutions éducatives – et la société – de façon à ce que la manière que nous vivons, enseignons et travaillons puisse refléter notre joie pour la diversité culturelle, notre passion pour la justice et notre amour de la liberté. » (hooks, p. 36)
2)
Dans le cours de didactique de la grammaire je me suis aperçue que j’ai de la
difficulté à concevoir l’enseignement de la grammaire autrement que de façon
traditionnelle, parce que c’est de cette façon que la grammaire m’a été
enseignée. En même temps, les méthodes d’animation que je préconise et que
j’utilise sont dynamiques et centrées autour des participants. Comment arriver
à concilier ma façon d’animer et des contenus « rigides », tant sur le plan des
règles que des programmes. Il y avait des pistes de réponses dans le cours de
didactique de la grammaire, notamment dans l’utilisation de réseaux littéraires
grammaticaux (RLG).
Le spectre est large en ce qui a trait à la façon d’envisager la langue et son enseignement. Entre Denise Bombardier et L’insolente linguiste, les opinions divergent. Tout un pan de la société, qui est attaché aux règles et au statu quo, considère les changements pour simplifier la langue comme un nivellement par le bas. Pour ma part, je considère la langue comme un système vivant qui est « régi » moins par les règles que par l’usage qu’on en fait. La langue évolue et se transforme au gré d’un mouvement collectif qui l’actualise et la performe et mon utilisation de la langue varie en fonction des contextes et des publics. La langue n’est pas là pour établir des rapports de pouvoir entre les gens, mais bien pour créer du liant social. Oui, j’ajuste mon langage en fonction des gens à qui je parle et dans le cas particulier des apprenants de L2, je pense que nous devons les mettre en contact avec la langue qui se rapproche le plus possible de celle qui est entendue dans la rue. Les apprenants doivent, bien sûr, connaitre les distinctions entre les formes d’utilisation de la langue à l’oral et à l’écrit, mais ils doivent aussi connaitre la langue française avec ses particularités québécoises, afin d’en intégrer pleinement les subtilités. La langue renferme une vision du monde, elle est le miroir d’une culture et elle peut servir de levier pour embrasser cette dernière. Les discours élitistes des gens qui ont peur de voir disparaitre le français et qui s’attachent à des règles rigides en matière de grammaire de la langue (de méthodes d’enseignement et d’évaluation notamment), me semblent s’accrocher plus encore à leurs privilèges. Puisque c’est un privilège de maitriser la langue, un privilège qui n’est pas donné à tous, encore aujourd’hui. La société québécoise a un taux d’analphabétisme élevé et plusieurs personnes, pour toutes sorte de raisons, n’ont pas la chance de posséder les clés pour parler et écrire la langue comme la moyenne des gens. Non, il ne s’agit pas que de faire des efforts (tsé la belle phrase culpabilisante : « quand on veut on peut ») et il y a toutes sortes d’obstacles à la maitrise de la langue, y compris parfois, les façons de faire de l’école elle-même. L’amour de la langue est fragile et la langue est souvent utilisée en classe pour piéger les apprenants et leur faire sentir qu’ils sont en situation échec. À l’instar de Daniel Pennac, je pense qu’il faut retrouver d’abord le plaisir de lire. Il faut aussi cultiver en chacun l’idée que la parole permet de reprendre le pouvoir pour soi et pour « nous » en tant que collectivité en action.
« Au-delà de ce détroit, par-delà cette mer, il y a des gens qui nous ressemblent. La rencontre ne se fera pas sur le coin d’une carte géographique, mais dans ses mille replis, dans les silences et les regards. Chaque tendresse mérite le détour, chaque attention est un cadeau de l’humanité à elle-même. Un jour, nous devrons écrire la géographie des sourires, la carte des complicités, le tracé des bras ouverts et à partir de ce moment, nous ne nous aventurerons plus que sur ces chemins de fortune. » (Pardo, 2015)
L’apprentissage se fait tout au long de la vie et prend des formes diverses. J’ai passé ma vie à être à la fois à l’école et dans la « vraie vie », sur le terrain et dans différentes institutions. Multipliant les formations temps plein ou partiel, pendant que je travaillais à temps plein ou partiel. Je n’ai jamais hiérarchisé les savoirs, consciente que j’apprenais différentes choses, de différentes manières, à différents endroits. Le fil rouge que je vois à travers mon parcours est celui la relation. Tout ne fait de sens qu’à travers les relations établies. Les collisions lumineuses et les inspirations se sont multipliées au fil du temps et des lectures.
Les
deux plus grandes expériences en intensité et en apprentissages que j’ai vécues
sont liées à la maternité et à un voyage en Afrique de l’Ouest. Ces deux
expériences étaient en lien avec l’altérité ou avec le contact avec l’autre et
de ces deux expériences est né un recueil,
qui, je le crois, résume mieux la richesse de la chose que ce que je pourrais
en ajouter ici.
« Tire la chevillette, la bobinette cherra
avec mes deux bras ouverts moléculaires
occupés à infuser le thé amer tandis
que j’me colle à l’autre réalité
la face cachée de l’oralité abricotée
deux branches d’espérance dans l’attiéké
et l’arborescence des doigts collés
et ton cœur bambou-baobab
dans ma paume béate aromate
le ciel tout blanc bamanan astringent
son beat équitable d’appétit croquant
le karité en guise de couronne coopérative
et la carcasse du PIB en court-bouillon alternatif
le slow food des mangues séchées
la tontine et son coulis de francs partagés
les relations, des résultats gastronomiques
le grand Bamako-CHAOS et ses rognures de statistiques
et partout, partout, des enfants ganache-café
et la chaleur, que dis-je, le franc brasier
et lutter contre
tous les « c’est pour mieux te manger »
[extrait Rivière-louves]
« Elle balbutie et boit. Ne dort pas, jamais.
D’une main je pense à toi, de l’autre, je nourrice. Mes deux seins des ballons.
Elle qui ne dort jamais. Ma main droite dans ses cheveux, ma main gauche tient
mon œil ouvert et l’autre main écrit ce texte sur l’oreiller. L’insatiable
saoulée de mon lait. La paupière lourde. Béate. Blancheur de mon lait. De la
nuit. De ma peau. Ma Mathou teintée. Elle et-moi ton sur ton. Tout toi métisse,
mi-Mossi mi-moi. Ça m’émeut ta peau. Dans la nuit. Toi. Toute menue, une
merveille. « Maudit, chu-tu en train d’écrire des poèmes maternels? »
Et tout à coup tu dis maman. Tu dis maman et tadam. Maman et tadam. Avec ta
main dans les airs. La main refuge. Le chant-ciment, liant. Sentiment. Aimer.
Tu me tiens. »
[extrait La femme-pieuvre]
Il
y a en Afrique de l’Ouest la tradition du palabre et de l’arbre à palabres, cet
endroit où les gens se rassemblent pour discuter. Je trouve qu’on sous-estime
souvent l’importance de l’aménagement des espaces. Les espaces sont occupés en
fonction de la façon dont ils sont aménagés. La configuration de l’espace dans
les classes traditionnelles ne favorise pas les échanges. C’est après avoir
effectué un retour à l’université à la suite d’un passage prolongé dans le
communautaire que j’ai réalisé comment ces rangées de chaises, ces rangs
d’oignons qui pointent tous vers un seul locuteur, le professeur, ne favorisent
pas la communication et les échanges en général. Les cercles de parole permettent
d’échanger, chacun s’y retrouve au même niveau et chacun se voit dans le blanc
des yeux. Je m’ennuie des conversations sous les arbres. Ma plus grande peur
par rapport à l’enseignement est de perdre la marge de manœuvre et la souplesse
caractéristiques du milieu communautaire. J’ai eu la chance de travailler dans
des milieux où j’avais carte blanche et où on me faisait confiance pour
élaborer des activités qui s’arrimaient réellement aux besoins et aux désirs
exprimés par les groupes d’apprenants. Les ateliers étaient basés sur la
participation active, et s’adaptaient au fur et à mesure de ce qui était exprimé
dans les groupes. J’écoute les témoignages des enseignants et j’entends que
l’école ne formatte pas seulement les élèves mais les professeurs aussi; comme
si le milieu scolaire était un moule qui avale les bonnes intentions avec ses
programmes stricts, sa vision « bancaire » et le manque de temps. J’ai peur de
me faire avaler moi-même, je ne sais pas comment faire cohabiter mes valeurs et
les façons de faire auxquelles je crois avec les milieux institutionnels. En
même temps, je ne connais pas assez la réalité du terrain pour envisager des
avenues créatives et pratiques. J’essaie de me projeter dans quelque chose que
je ne connais pour l’instant qu’à travers des ouï-dire. Je m’inspire des
enseignements non-traditionnels et je me rassure de voir que le faire autrement
est possible, existe et est incarné par des professeurs.
Quand
Mathilde est née, j’ai monté une entreprise individuelle qui s’appelle Lunettes
Roses. J’ai développé avec Lunettes Roses des projets de médiation culturelle
et de poétisation avec différents complices. J’ai travaillé avec des groupes de
personnes de plusieurs horizons (jeunes, familles, nouveaux arrivants, ainés,
etc.). J’ai rencontré notamment de immigrants récemment arrivés au Québec pour
un projet qui se voulait à la base une pièce de théâtre, mais qui est devenu un
projet de monologues sur le web. Persistances constitue une galerie de
portraits, une pluralité de récits écrits à partir de bribes d’écritures
collaboratives et d’entrevues. Les textes en question se retrouvent sur la
plateforme-in-progress Persistances
– rouler la ville en vingt monologues.
« Chacun a ses défis, ils peuvent être liés
entre autres à la vieillesse, à l’isolement, à la santé, à la parentalité, à
l’emploi, à l’éducation, à l’amour, à l’identité… L’état du monde et la vie
font de nous des réfugiés, des chômeurs, des abandonnés. Malgré tout, nous
continuons d’avancer avec nos failles et nos forces, à trouver de la lumière,
de la poésie et du sens à différents endroits. Tout le monde est fucking
résilient, persiste et survit! Tout ce qui meurt veut se raconter. »
[descriptif du projet Persistances]
L’écriture
s’est faite donc à partir de récits de vie, de souvenirs, de gens parfois croisés,
parfois inventés, parfois les deux. J’avais fait ces entrevues pour mieux
comprendre les différents parcours migratoires. J’avais passé six mois à
l’étranger et j’avais trouvé très difficile de m’intégrer à une culture autre
que la mienne. Mon expérience au Mali demeure à ce jour l’une des expériences
les plus signifiantes de ma vie, mais lorsque j’y étais, lorsque j’étais au
cœur du choc culturel (suivi du choc du retour), j’arrivais mal à m’imaginer
une vie entière loin de chez moi. Par ailleurs, j’écris ces mots « chez moi »
et je réalise en les écrivant, que je n’arrivais plus, à l’époque, à déterminer
où était vraiment ce « chez moi ». J’avais quitté Montréal pour aller étudier à
Rimouski, j’avais quitté Rimouski pour aller étudier à Rivière-du-Loup, j’avais
quitté Rivière-du-Loup pour Bamako… et je ne savais pas où j’allais m’installer
à mon retour. J’étais perdue et je le suis toujours. Fascinée de réaliser que
chez moi ne pourra plus jamais être un seul endroit, à cause de toutes les
relations établies à gauche et à droite, dans mille lieux tous plus différents
les uns des autres. Alors je me suis assise avec différentes personnes, à
différents moments, dans des cafés différents, avec un petit questionnaire
préparé à l’avance; et à chaque conversation, dans mon souvenir, je n’ai pas eu
à avoir recours aux dites questions. Les gens avaient la générosité de me
raconter leur expérience de vie ici, les raisons de leur départ, le chemin de
croix du processus d’immigration, les contours de leur nouvelle vie, les hauts
et les bas, les plans pour l’avenir. Je ne remercierai jamais assez ces gens de
s’être ouverts à moi. Je sais, puisqu’une amie en anthropologie me l’a
confirmé, que les nouveaux arrivants sont très sollicités pour raconter leur
récit de vie et qu’ils le font en ayant très peu souvent l’occasion de voir ce
qui est fait de leur histoire, comment leur partage est utilisé. C’est un
partage unilatéral, qui se fait dans l’échange bien sûr, mais où il y a
déséquilibre puisque l’un raconte et l’autre écoute. Quoique dans mon cas, ce
n’est pas une mauvaise idée d’apprendre à écouter. J’ai essayé donc de
travailler l’écriture à partir d’expériences partagées, mais j’ai trouvé fine
la ligne entre le souhait de donner une voix à qui en a peu ou pas, et le
danger de s’auto-proclamer « porte-parole » en laissant trop entendre ma propre
voix dans le sillon de celles que je voulais mettre à l’avant-plan.
« L’accès à la parole permet une prise de conscience de l’oppression internalisée et permet l’expression de sa voix ; le rapport à soi-même avec le droit à la subjectivité et à l’intuition ainsi que les relations aux autres deviennent des moyens de transformation. » (Ollagnier, p. 16)
« Les jeunes adultes ont appris à prendre soin des pommiers progressivement, tout en développant un rapport affectif avec tous les arbres du verger. Ils ont prodigué des soins à chaque arbre et s’opposaient à la perspective d’en couper un seul. Ils se sont identifiés aux pommiers. Ils se comparaient à chaque pommier qu’on avait négligé et qu’il fallait sauver, ne serait-ce que parce qu’il y avait une seule branche saine… » (Desmarais et Lamoureux, p. 107-108)
Je
ne sais pas si j’avais déjà envisagé l’enseignement et l’apprentissage sous le
signe de la bienveillance, mais c’est l’extrait de texte qui, je crois, m’a le
plus touché dans le présent cours. Il y a dans tous les métiers qui se font
avec des humains et dans la relation, une grande part d’amour à donner et à
recevoir. On parle des métiers du « care » et bien sûr, ça semble tomber sous
le sens, une fois que c’est nommé, que l’enseignement en fait partie. Je me
suis beaucoup occupée d’enfants dans les dernières années. J’ai mouché des nez,
j’ai philosophé, j’ai ri, j’ai bricolé avec des enfants. Et il y a aussi mon
enfant, que j’ai bercé, j’ai porté, j’ai nourri. Je n’ai pas dormi, je me suis
inquiétée, je me suis impatientée, j’ai levé à répétition ce petit corps mouillé
pour le sortir du bain, j’ai chanté les yeux fermés et ouverts, j’ai dormi
collées, j’ai attendu chez le médecin, l’autobus, la fin du mal d’oreille, j’ai
cherché des poux (littéralement), j’ai cousu un costume de pieuvre, j’ai pleuré
dans mon lit, je suis sortie sous la pluie le matin pour acheter de quoi faire
des biscuits pour toute la classe, je me suis assise à la table pour faire les
devoirs, une fusée, un monstre, j’ai essayé d’aimer Noël de nouveau, j’ai cessé
d’être capable d’entendre parler de violence faite aux enfants aux nouvelles,
j’ai arrêté d’avoir une vie sociale, je me suis couchée plus tôt, mais ça ne
sera jamais assez tôt pour ne plus être fatiguée. J’ai peut-être oublié de
prendre soin de moi, au point d’en perdre des bouts de ma santé, et je me rends
compte que je vais devoir y revenir, à moi, avant de pouvoir être bienveillante
comme se faut. Je vais devoir reculer de trois pas, cesser de donner le
meilleur de moi-même aux enfants des autres pour en réserver la meilleure
partie à Mathilde et à moi-même. Je pourrais commencer par retrouver le silence
des forêts. Les arbres, toujours. Marcher pieds nus avec les cheveux sales. Je
pourrais ne revenir qu’au printemps seulement, avec encore de la terre sous les
ongles comme souvenir de voyage. Je pourrais partir en retraite dans un lieu où
je ne ferais que marcher et respirer, afin de me souvenir que tout passe. Je
pourrais continuer d’y apprendre comment me calmer et comment garder
l’équilibre en marchant face aux vents. Je pourrais partir avec Mathilde pour
quelques mois, dans des pays qui n’ont rien à voir avec ici. On ferait l’école
à la maison et on pourrait aller visiter des écoles là-bas, pour le plaisir de
voir c’est comment ailleurs. On continuerait d’apprendre sur la route et la transformation
n’en serait que plus profonde.
« … il y a la conviction que le sens se trouve davantage en nous-mêmes que dans des formes extérieures (les livres, par exemple), et que le sens particulier attribué par chacun à sa propre expérience s’acquiert et se valide à travers l’interaction et la communication humaines. » (Mezirow cité dans Duchesne, 2010)
Bergeron,
C. (2014). Code colibri. Québec : Groupe Poésie Combattante
Desmarais,
D. et Lamoureux, E. (2012). L’apprentissage expérientiel de jeunes adultes en
processus de réinsertion sociale. Dans Écrire, lire et apprendre à l’âge
adulte (p. 91-110). Québec : Presses de l’Université Laval.
Voici mes souhaits pour la prochaine année. Des mots que j’ai d’abord fait suivre par snailmail à des amis. Parce que ça me semble aussi une bonne idée de ralentir cette année (tsé question de se rendre à la fin de 2017 avec encore quelques plumes). Sourire et respirer donc!
Il faudra bien sûr continuer de faire des enfants, continuer de leur apprendre à respecter les autres et à se défendre. Lire pour s’inspirer et pour comprendre l’innommable, ce que tous nos biais laissent dans nos angles morts. Trouver des espaces où il n’y a que du doux, pour recharger nos batteries en méditant, en jardinant, en jouant. Marcher et respirer dans les allées bétonnées, mais aussi là où il y a de grands arbres, l’eau et l’odeur du varech rassurante, les abeilles qui persistent. Continuer nous aussi, malgré les frissons de peur et les hauts le cœur. Malgré les commentaires haineux et en se sachant, privilégiée. Utiliser notre colère comme moteur et ne jamais s’habituer à la bêtise. S’adapter, mais dans l’indignation constante, en prenant la parole, en (c)riant très fort, en dansant dans les rues, en étant soi-même dans toute notre flamboyance et notre désespérance à la fois. Nous dans toute notre diversité, retrouvant l’empathie. Il faudra continuer de réfléchir et de s’informer ailleurs que « dans mon livre à moi ». Recommencer à croire en quelque chose avec beaucoup d’amour et d’attentions. Sortir nos métiers à tisser pour faire des cerfs-volants qui voient plus loin, des coquillages qui renferment la mer, des jardins créoles équinoxe, des ponts de papier de soie. Parce que ça prend aussi de la douceur et de la beauté et une part de soi qui s’engage, qui plonge, qui s’assume et qui se commet. Il faudra chanter, imaginer des chorales dans les parcs, afin de partager une fréquence et de résonner ensemble. Continuer d’aimer les narrations mélodiques, les bruits organisés, les beat de drum et les cris qui se transforment en porte-voix. Se raconter des histoires, nos histoires et imaginer des façons de faire différentes et des récits utopiques qui ne demandent pas nécessairement à s’ancrer dans la réalité. Écrire-et-lire des histoires où il n’y a pas que des catastrophes, imaginer des scénarios merveilleux et mettre la lumière sur la lumière, sur les petites choses abîmées qui sont en faites merveilleuses. Cracher et couver, frencher et aboyer. Tout cela en s’assurant que la petite respire toujours la nuit, en l’embrassant sur le front. 2017, je t’attends !
Je ne sais pas si ce que j’écris est bon, ni même intéressant. Mais c’est une voix. Une voix qui s’accroche et se tisse à d’autres voix réelles ou imaginaires, qui est traversée d’influences et de connivences intertextuelles. J’utilise parfois l’image de la ventriloque pour parler de cette impression qu’écrire peut être une manière de laisser d’autres voix traverser son écriture. Un bel article de Marie-Anne Paveau sur la question du « parler pour » ou du « parler à la place de » m’a fait réfléchir : Parler du burkini sans les concernées. De l’énonciation ventriloque
Il n’est pas question dans cet article du travail d’écriture d’un auteur, mais plutôt,de l’analyse de discours médiatiques et de la position d’énonciation particulière du « je sais ce que vous dites ». L’auteur fait ressortir l’importance de faire une place aux voix des « concernées » et de les entendre. Alors je me disais qu’il est délicat de travailler à partir de récits et que, malgré mes bonnes intentions et mon désir de porter des paroles qui me semblent peu-ou-pas entendues, je vois ici le danger de s’auto-proclamer porte-parole et de tenter de faire passer son propre message en utilisant la voix des autres. Dans cet exercice de raconter ou de rapporter, ma voix n’est jamais neutre. Il est peut-être illusoire dans ce contexte de vouloir prêter sa voix, porter des voix…?
The problem of speaking for others includes the problem of speaking about the other, as if, in bell hook’s (1990) words, » I can talk about you better than you can talk about yourself » (p: 152). – Rakow et Wackwitz, Voice in feminist communication theory (2004)
Je devrais te parler d’acoustique musicale, c’est le cours dans lequel je suis inscrite en ce moment. Un cours qui fait saigner du nez, littéralement. J’entends de moins en moins mon cerveau se recroqueviller sur lui-même chaque mardi après-midi, alors qu’il est question d’impédance, d’intensité… de résistance. Je devrais t’en parler et surtout, je devrais être en train de l’étudier, puisque j’ai un examen la semaine prochaine. Mais, je procrastine et je lis cet article passionnant sur l’éditorialisation, écrit par mon futur directeur (non-j’ai-pas-encore-envoyé-le-formulaire) de projet. Parce que je suis gentille, je vais te glisser ici quelques extraits pour te donner le goût d’aller lire l’article au complet. Désolé… c’est en anglais!
En fait, la question qui m’intéresse particulièrement est celle de la « représentation » versus le « performatif ». Est-ce que l’écriture n’est vouée, pour toujours, qu’à représenter-nommer le monde (être une pâle copie, morte, du monde) ou peut-elle participer à le créer, à l’élaborer sur un mode plus performatif? Dans l’article en question il y a des pistes de réflexion. Dans l’introduction, l’auteur rapporte la critique de Paul Valéry face à la philosophie et de manière plus générale, à l’écriture.
This critique of philosophy is, more generally, a critic of any form of writing: writing means making still what is moving. Written words are frozen frames, inert corpses that only represent the moving bodies that populate reality. Valéry aspired to be a writer of movement, an architect more than a writer.
Behind this forceful critique of philosophy and writing in general lies a more global critique of the representational paradigm: representations are only imitations of reality, but these imitations are frozen frames of moving life, and therefore useless and fake.
The question that I want to take up in this paper is whether digital writing can be described in the same way. This is an important consideration because digital technologies are in fact based on writing. The web is constructed by writing. Everything on it is written – including images and videos, which are expressions of code and exist only as strings of characters. Writing is the actual material of digital space. But what kind of writing is the writing of digital space? Is it different from the kind of writing that is criticized by Valéry? And what is the relationship between writing and philosophy in the digital age?
L’article démontre ensuite comment l’espace numérique est un espace réel. Dans cet espace « digital », notamment sur Internet, l’écriture occupe une place prépondérante. Enfin, l’auteur fait la démonstration que l’espace numérique opère dans le paradigme d’un mode « performatif » (avec définition à l’appui). Selon lui, l’espace numérique n’est pas une représentation du réel, mais une façon singulière de produire et d’organiser la réalité (je simplifie).
Honnêtement, je ne demande qu’à être convaincue, mais j’imagine que ma conception de l’écriture « résiste » aussi ici. Je conviens que le web est (THE!) l’espace d’écriture par excellence, que ce qui s’y passe, même les images et les sons, sont du code, donc de l’écriture. Je trouve franchement poétique l’idée de l’éditeur-architecte et de l’espace qui se construit à travers différentes connexions, à la manière d’une trame, avec une hiérarchisation (quand même) des éléments qui la composent. Cet échafaudage d’écriture me fait (re)penser à certaines images du film The Matrix, où les 0 et les 1 finissent par se matérialiser. Ça me renvoie aussi au film vu dernièrement La Sapienza d’Eugène Green, qui met en lumière le travail de l’architecte baroque Francesco Borromini.
Saint-Valentin frileuse. Un homme marche rapidement avec une douzaine de roses dans les mains. De quoi auront l’air les fleurs une fois à la maison? C’est beau d’être optimiste, mais… Ça me rappelle la fois où je courais avec une bouture fraîchement empotée vers l’autobus dans un froid glacial. La plante se flétrissait avant même que j’aie fait un coin de rue. Je courais, paniquée, avec la plante dans mon manteau en lui parlant. Une autre de ces fois où j’ai eu l’air débile dans un lieu public. La plante est toujours chez moi et se porte mieux que jamais. Ça a l’air que la vie est plus forte que la mort… mais à la fin tout meurt quand même… #resistance-jovialiste
pré[textes] artistiques et autres produits dérivés poétiques