La tête dans les nuages

Il y a déjà un moment, les ami.e.s du Collectif Escargo m’ont offert d’écrire quelques textes poétiques (ou pas) à intégrer dans leur dossier pour le concours de la nouvelle installation artistique sur la rue Sainte-Catherine Est. Le projet s’appelle La tête dans les nuages.

Collectif Esacargo en collaboration avec :
WXY Studio, La Bande à Paul, Lightfactor, Show Canada
Les amies : Lunettes Roses, Studio l’Escabeau

Danser la tête dans les nuages, rire la tête dans les nuages, vivre la tête dans les nuages, fêter la tête dans les nuages, dormir la tête dans les nuages, t’as-tu la tête dans les nuages?

Projet en cours.

Descriptif de projet tiré du site du collectif

Je glisse ici les deux images+textes qu’on retrouve sur le site d’Escargo, ainsi que la version complète des fragments poétiques qui accompagnaient les différents tableaux-humeurs-stations envisagés.

collectif escargo
collectif escargo

MAGNÉTISME invitation lancée par la boussole – aller tous vers l’avant – le spin de nos particules élémentaires aspirées par la parade magnétique

BATTEMENTS puis, va-et-vient et ballottements – les pages d’un livre qui volent au vent – les battements d’ailes d’insectes dansants – nos cœurs aux modulations décalées – un peuplier faux-tremble aux feuilles argentées

RAYONNEMENT jusqu’au blanc noyau central – les pulsations d’aigrettes de pissenlits de nuits – l’onde-miroir de flaques d’eau après la pluie – le halo de 1000 visages vacillants en vitrines – les reflets de feux d’artifices sur nos peaux feutrines

IRIDESCENCE avec chacun des ailes de colibris greffées, tatouées, maquillées – en vol plané dans des amas de bulles de savon – nous cherchons des lumières pour briller – nous, remplis d’espoirs iridescents – agglutinés ensemble en masses affectives en familles dépareillées en communautés parapluies

MÉTAMORPHOSE notre peau trouée laisse entrevoir la lumière – onduler jusqu’à la prochaine mue éphémère – faire place aux écailles métamorphosées et laisser dans notre sillon cette exuvie percée – comme un filet tissé de chair qui raconte nos rapiècements

TOURBILLONS la nouvelle valse laisse entrevoir que tout tourne à l’unisson – en trois temps – décorations dans une roue de vélo – Don Quichotte et ses moulins à vents – virevents et autres éoliennes géantes – polyphonie de samares tourbillonnant

APPARITION à l’aube ou au crépuscule assister à l’apparition – l’arc-en-ciel en dégradé continu – chérir cette vision chromatique collective qui renferme le fantôme de sa propre disparition

Il était une fois la Saint-Catherine à l’aube. Ce moment où le soleil apparait dans le ciel dans le silence. Seuls ceux et celles qui s’endorment les derniers ou qui se lèvent les premiers connaissent la couleur de l’aube. Une ondée orageuse passe. Ça sent la pluie. C’est la pluie, qui fait remonter des odeurs de terre humide et d’asphalte chaude. Au contact de la lumière et des gouttes, lors du passage de l’air à l’eau, une fracture donne naissance à l’arc-en-ciel. Un arc-en-ciel pour chaque gouttelette. 1000 arcs-en-ciel comme 1000 écailles comme 1000 bulles de savon comme 1000 plumes comme 1000 feux d’artifices comme 1000 perles comme 1000 visages.

Dans l’éclaircie, du haut du ciel, voir les mouvements des pas et des déplacements des corps dans l’espace, qui forment des motifs d’écailles au sol. Des réseaux de relations, de transactions, de conversations. Des accrochages légers, des accolades, des échanges de coups, de vues, de coups de mains, des négociations et des pourparlers, des tractations et des baisers, des faces-à-faces, des communions, des transports, des points de jonction et des voies parallèles, des errements, des manœuvres artistiques, des intrigues, des manèges, des explorations, des connexions en accéléré, des main dans la main, des flirts au ralenti, des arrêts sur l’image.

Midi. Point culminant du soleil. Des rafales de vent tourbillonnent et font se déplacer les nuages au cœur du Village. Les yeux tournés vers le haut, la tête littéralement dans les nuages, rêver et confondre ciel et mer : de longs cheveux blancs en filaments fibreux d’écume, de petites balles blanches de jongleurs qui se tiennent ensemble en bancs de poissons, la voile translucide d’un bateau voguant vers le pont Jacques-Cartier, des masses denses et grisâtres qui font halte au soleil, des couches épaisses qui viennent auréoler les lampadaires devenus phares, des amas blancs denses impressionnistes qui s’élancent à l’horizontale et à la verticale. Une fois les nuages passés, ne reste dans l’air que des ailes de papillons, des graines de pissenlits, des bulles de savon en suspension.

Dans l’après-midi, le colibri fait son entrée. Son plumage « boule en miroir » permet à la diversité des visages des gens sur place de se refléter. Corps couvert de squames, tels autant de minuscules réflecteurs où se mirent ceux qui ont quitté le boulot (ou pas), ceux qui affluent vers les 5@7, qui marchent, qui passent par le service de garde, le parc ou la ruelle, et qui croisent Denis Vanier, un musée à ciel ouvert, une librairie féministe ou une drag en papier mâché. Dans chaque tuile en miroir, le reflet d’une personne unique, une subjectivité avec sa danse non-conforme. Dans chaque facette en miroir, des individualités qui se projettent dans la nuit en faisceaux lumineux.

L’heure bleue laisse planer l’espoir des feux d’artifices. Chacun cherche l’observatoire parfait pour contempler les ombres, les reflets, les chatoiements projetés sur toutes les surfaces des immeubles et sur les peaux attentives. La nuit est toujours une promesse (tenue ou non) d’irisations colorées et de boucans espérés. Dans la noirceur, tous les possibles refont surface soir après soir, l’esprit carnavalesque renait de ses cendres, les masques permettent tous les travestissements et chacun peut montrer ses nombreux visages dans le chahut et dans les brillances nocturnes.

Toutes portes et fenêtres ouvertes pour déborder de la rue et investir les espaces environnants. Les oiseaux de nuit se dispersent et dans cette mouvance tout le monde mue y compris la rue elle-même. Des boas et des perles autour des cous, serpents à plumes et Quetzals raccordent ciel et terre dans leurs envolées. La Catherine devient un grand serpent qui ondule sur des rythmes pop ou techno pendant le restant de la nuit. Les sinuosités et les vagues sont au-dessus de nos têtes, dans nos corps, dans nos pieds. Un grand mouvement collectif qui appelle à la transformation et qui rappelle que tout bouge, que tout est en mouvement et que chaque voyage commence par le langage.

La fête traverse largement minuit. Au petit matin le balayeur balayera paillettes et confettis pour en faire, avant le point de rosée, une matière à souffler de nouveau dans les airs, en groupe; des particules qui formeront une nouvelle canopée de gouttelettes iridescentes au-dessus de nos têtes rêveuses. Aujourd’hui, on recommence au son des battements de nos coeurs!